Réclamer l’érotique dans “Tantrique”
Depuis que j'évolue dans le milieu du Tantra et de la sexualité consciente, j'observe des tendances dans les milieux spirituels de ne pas appeler un chat un chat, et d'utiliser autant que possible d'autres termes : Yoni, Lingam, tantrique, sacré, Temple, etc.
J'ai moi-même navigué ces eaux, et je partage ici mon cheminement et réflexion sur le sujet.
Lorsque j'ai commencé la massothérapie en 2014, et que des clients ont commencé à me parler de massage tantrique, je me disais "c'est quoi ce mot pour pas dire sexuel"? À Montréal, ville des plus libres en ce qui concerne le travail du exse, on trouve un peu partout des salons de massages (érotiques), ou des masseuses (érotiques) offrant des services tarifés. Bien sûr que je n'étais pas une d'entre elles !
Et puis j'ai découvert le (néo)Tantra (qui a beaucoup plus de facettes que le simple aspect sexuel), et j'ai commencé ma formation en Somatix Sex Education.
Naturellement, quand j'ai commencé à offrir des massages ("tantriques"), j'ai tout fait pour me dissocier de ces services de salons : massage naturiste mais je ne touche pas les parties génitales ; oui je touche le corps au complet ; non je ne suis pas nue ; oui il ya activation de l'énergie sexuelle, non on ne va pas jusqu'à l'éjaculation ; le massage tantrique a un but THÉRAPEUTIQUE et HEALING, et n'est pas juste une expérience récréative ; etc etc etc.
Durant ces années, j'ai tracé une ligne qui a doucement évolué, en fonction de ma guérison de trauma (un jour je vous raconterai comment ce métier a actually été au coeur de ce processus), de la découverte de ma propre zone de confort, de mes limites et ma conscience de mon consentement. J'ai vécu des micro agressions, j'ai subi des clients désagréables et irrespectueux. J'ai pris des pauses à certains moments car mon travail devenait mécanique, et j'avais besoin de recul. J'ai fait évoluer mes cadres, mes services et mes tarifs. Je ne suis formée sur différentes approches et j'ai continué d'ajouter des layers à ma pratique.
Durant ces années, j'ai aussi découvert et déconstruit mes propres jugements et tabous sur le fait de faire le métier que je fais.
Durant ces années, si je suis vraiment honnête avec moi-même, j'ai tracé une ligne arbitraire et basées sur mes propres JUGEMENTS et limites personnelles pour définir ce que je faisais... en invoquant la sacro-sainte "sacralité" et le "Tantra" pour justifier cette ligne.
Après 6 ans de pratique, de travail sur moi-même et sur mes ombres (shadow work), je réalise à quel point, à travers mon travail et sous couvert de "pratique sacrée", j'ai internalisé les stigmas de la société et ma propre honte de faire ce métier (que j'adore).
À travers mon propre cheminement, je réalise aussi les préjugés qui persistent encore dans les milieux spirituels soit disant "progressistes", qui font qu'on utilise d'autres mots pour ne pas dire ce qu'on veut vraiment dire (insérer ici mot de 4 lettres commençant par S).
Et je suis tannée.
Dans le cadre de massages "tantriques", qu'est-ce qui justifie qu'on trace une ligne sur le fait d'amener ou non le client au climax ? Qu'est-ce qui serait différent pour moi si ma clientèle était composée majoritairement de femmes ? Pourquoi est-ce que je choisis de ne pas utiliser érotique pour décrire mes massages, alors que c'est exactement ça : l'utilisation du toucher et de la stimulation des sens pour accéder à une transe érotique ?
Let's be honest : Tantra ou tantrique, je l'utilise pour attirer l'attention. Oui j'ai des formations en néoTantra, et oui ce que je fais s'en inspire. Mais surtout, ce terme est relativement compris (ou incompris) par suffisamment de personnes qui recherchent et pourraient bénéficier de ce que j'offre, que ce soit en 1-1 ou en atelier de groupe.
Mais je ressens aujourd'hui le besoin d'arrêter de cacher la réalité derrière ce mot.
Je veux réclamer le mot EROS et ses déclinaisons, et lui redonner ses lettres de noblesse. Le DÉSIR, est à la Source de l'existence de tout. C'est une énergie vitale, profondément humaine et magnifique. Le PLAISIR ne devrait pas être caché, honteux ou jugé. Et l'énergie éro1ique activée par le toucher est un moyen aussi valide que le breathwork, la danse, l'hypnose ou d'autres d'état altéré de conscience utilisé en modalités thérapeutiques.
Ce qui trace la ligne du "sacré" et du "healing", ce n'est pas un mot. C'est une intention, et avec l'intention, la définition d'un cadre.
Ce qui trace "la ligne" entre mon travail et celui d'une masseuse, c'est le cadre que je créé, ma posture comme accompagnatrice, et mon alignement avec ce travail - et je crois sincèrement qu'on peut offrir une expérience guérisseuse et thérapeutique (différent d'une thérapie) à travers la connexion humaine et l'Eros, quelque soit la modalité (voir le travail de Sonia Von Sacher).
Ce qui trace la ligne entre ce que je fais et ce que je ne fais pas, c'est en grade partie MA zone de confort, MES limites personnelles qui me font sentir en intégrité. Cela inclut de sélectionner soigneusement mes client.e.s, et de m'assurer qu'iels ont une bonne capacité au consentement avant que je les touche - mais aussi de charger un prix élevé qui me fait sentir rencontrée dans ma valeur et ce que je donne dans mes sessions.
J'ai envie de le dire avec fierté aujourd'hui : je suis Travailleuse du Sexe, dans les catégories "high end", et privilégiée de faire ce métier. Parmi mes différentes pratiques, j'offre des services qui sont par nature érotiques - et je suis excellente à ce que je fait, entre autres parce que j'ai du plaisir à le faire.
J'ai hâte à un monde ou ce ne sera plus tabou d'utiliser certains mots.
Et de crier bien fort sur Facebook les mots en S, P, V et V.